lundi 30 juin 2014

Quasi adolescence

C'est le mot grâce que j'ai eu à la bouche aussitôt terminée la lecture de "Cet été-là" des cousines Tamaki. Peut-être, les ont-elles vécus ensemble ces moments privilégiés au cœur de l'été? Il ressort en tout cas une incroyable  justesse de cette histoire, Rose et Windy, les deux presque adolescentes au centre du récit sont tellement crédibles qu'on croirait presque les toucher...Leur histoire est parfaitement universelle, elle a lieu quelque part sur la côté est américaine, mais pourrait se dérouler n'importe où... Comme tous les étés, Rose et ses parents reviennent passer leurs vacances à Awago Beach. A peine ses valises déposées, Rose enfourche son vélo pour aller retrouver Windy, sa meilleure amie pour l'été. En chemin, elle retrouve ses marques, laisse traîner, un bâton dans les arbres, ramasse un galet sur la route... En quelques cases, Jillian Tamaki donne le ton, crée une ambiance...
 Les retrouvailles sont heureuses, même si de façon quasi imperceptible, toutes deux sont conscientes que quelque chose a changé. Tout semble pareil, mais tout est différent, Rose est en passe de devenir une ado quand Windy a encore un pied dans l'enfance. Les jeux, les baignades, les balades sont toujours au programme des vacances, mais Rose et Windy commencent aussi à observer les petits drames d'une bande d'ados du village, avec un mélange d'admiration et de crainte.
Les dessins de Jillian Tamaki sont d'une grand élégance, elle a le chic pour saisir les expressions et les attitudes de ses héroïnes ordinaires.
Ce livre est une vraie bouffée d'air frais et ravira autant les adolescents en quête d'eux-mêmes que les adultes épris de nostalgie.


"Cet été-là" de Mariko et Jillian Tamaki aux éditions Rue de Sèvres, 20 euros


samedi 21 juin 2014

Iela Mari : la nature à hauteur d'enfant

J’ai découvert les livres de Iela Mari il y a quelques années. J’aurais tellement voulu les découvrir enfant. Ces livres m’ont immédiatement transportés, même avec mon regard d’adulte. Comment ne pas être attiré par la couverture des « aventures d’une petite bulle rouge », sur laquelle apparaît un énorme rond rouge, prêt à déborder de la page. C’est tellement simple que ça en devient mystérieux….
Les albums de Iela Mari m’ont amené à découvrir une nouvelle voie en littérature jeunesse. Une voie qui laisse une place énorme à l’enfant, qui n’essaie pas de penser à sa place. Fruit d’expérimentations et de recherches graphiques, les livres de l’auteur italienne s’inscrivent dans son parcours tourné résolument vers la communication visuelle.

Iela Mari naît Gabrielle Ferrano en Italie en 1932. Elle étudie la peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Brera où elle rencontre son futur époux Enzo Mari. Ils se marient en 1955 et auront deux enfants. Ils collaborent sur plusieurs albums pour enfants, avant qu’Enzo Mari décide de se tourner vers la création de jeux, de jouets d’objets et de meubles. Les travaux et réflexions du couple sont d’ailleurs inextricablement liés, parce qu’en plus d’avoir réalisé des livres ensemble, ils partagent une même vision quant à la transmission aux enfants.

Enzo Mari a réalisé différents jeux. Il est notamment le créateur d’un puzzle en bois regroupant 16 animaux s’emboîtant parfaitement pour faire un rectangle. Les formes sont simples, rondes, lisses, mais ne laissent aucun doute quant à l’identité des animaux. Ils sont directement identifiables. L’enfant peut les empiler en pyramide en cherchant le point d’équilibre avant de les réemboîter pour les ranger. Fabriqué en 1957 par la célèbre marque milanaise Danese, toujours à la pointe du design international aujourd’hui, ce puzzle laisse à l’enfant une grande liberté puisque différentes compositions sont possibles. Enzo Mari a aussi réalisé « le jeu des fables », qui comprend douze cartes avec des encoches sur lesquelles sont dessinés les animaux empruntés pour l’occasion aux fables de La Fontaine. En emboîtant les cartes on peut faire dialoguer les animaux à l’envi et donc s’inventer toutes sortes d’histoires. Les jeux d’Enzo Mari proposent aux enfants de construire eux-mêmes leurs règles. Il dit « Il faut donner à l’enfant, non pas des jeux, mais des structures de jeux ». Pour cela il simplifie les formes à l’extrême comme le fera Iela Mari dans ses livres. Tous deux étaient inquiets de l’évolution de la société. Enzo voyait d’un mauvais oeil l’accumulation des jouets futiles (on est dans les années 60, qu’est-ce qu’il dirait aujourd’hui) dans les chambres d’enfant, et Iela doutait des effets produits par une trop grande consommation de télévision.

C’est de ces préoccupations que naît son premier album « les aventures d’une petite bulle rouge ». ll paraît en 1968 en France, et sonne un peu comme une révolution au moment une autre révolution se joue dans la rue. Iela Mari crée un livre pour enfants sans texte, des pages zen, sur fond blanc, un trait à l’encre noir et des aplats rouges. Rien de plus !!

Une bulle de chewing gum sortie des lèvres d’un enfant se métamorphose successivement en ballon, en pomme, en papillon, en fleur, puis en parapluie pour revenir dans la main du même enfant. Epure et simplicité sont les maîtres mots de cet album. Iela Mari part du principe que l’esprit des petits fonctionne par associations de formes. On l’a dit inquiète de l’effet produit par le trop plein d’images diffusées par la télévision, elle dit :
« je voulais attirer l’attention sur les formes, par rapport au bombardement d’images que la télé produit ».
D’autres albums suivront ce premier livre, tous publiés en France par l’Ecole des Loisirs, qui joue véritablement à l’époque un rôle d’incubateur de talents. Jean Fabre, voit dans « Les aventures d’une petite bulle rouge » une sorte de manifeste de la maison d’édition qu’il a fondé. « Cet album dans sa sobriété, avec son schéma narratif épuré, ouvre à une pluralité d’interprétations et devient support d’expression ». Et c’est certainement ce qui a fait, et ce qui fait toujours le succès de cet album. C’est qu’il laisse une grande place au lecteur, à la parole de l’enfant. Il y a une grande humilité dans l’oeuvre de Iela Mari, elle imaginait ses livres comme un point de départ, une base de dialogue avec les plus petits. Son but était de suggérer des choses, de sensibiliser les lecteurs à leur environnement.

C’est ce qu’elle fait avec « la pomme et le papillon » un an plus tard. Réalisé avec son mari, ce livre montre une pomme, dans cette pomme il y a un oeuf, qui donne naissance à une chenille, la chenille sort de la pomme, devient cocon, le cocon devient papillon, le papillon pond un oeuf dans une fleur de pommier, et l’histoire est prête à recommencer. Iela Mari évoque le temps qui passe, puisque alors que la chenille devient papillon, les feuilles du pommier brunissent, finissent par s’envoler, pour finalement voir apparaître de nouveaux bourgeons.
Il y a aussi « l’oeuf et la poule », qui de l’oeuf ou de la poule fut le premier ? Elle fait une allusion subtile à la fécondation sur la page de titre, en montrant la tête du coq et celle de la poule. Puis on voit le nid, la ponte de l’oeuf, la gestation et l’éclosion, et le poussin qui devient poulette… La boucle est bouclée, une fois de plus….

Tous ses livres évoquent des cycles, cycle des saisons, cycle végétal, animal, ou cycle des métamorphoses poétiques, comme dans « les aventures d’une petite bulle rouge ». Iela Mari aime raconter les petites histoires de la nature, de celles qui se déroulent sous nos yeux, mais qu’on ne prend pas toujours la peine d’écouter. Elle joue le rôle d’un passeur, par le livre elle amène les enfants à déchiffrer le réel, et elle y arrive grâce à son style graphique épuré. Elle dit :
« Je pense que pour l’enfant qui cherche à comprendre, la nature est trop complexe. J’essaie de lui rendre les choses claires en créant des images synthétiques, en rendant le réel plus vrai que le réel. Et pour ce faire, il faut partir d’une analyse pour arriver à une synthèse, et non l’inverse. Il faut d’abord dessiner tous les détails d’une feuille, par exemple, et puis gommer, gommer ».

C’est bien de simplicité dont on parle et pas de simplification du propos. D’ailleurs ses dessins, même s’ils sont réduits à leur plus simple expression sont toujours une représentation fidèle du réel.
Son dernier album, paru en 1978 est dans la continuité des précédents. Toujours sans texte, avec seulement quatre couleurs, il nous entraîne dans un pré à la découverte des animaux qui y vivent, qui s’y cachent. Le lecteur se retrouve à hauteur des herbes, on sent presque les brins d’herbe qui nous chatouillent le nez. Iela Mari nous accompagne dans l’observation de tel ou tel animal, leurs interactions, on voit par exemple le renard qui guette la poule du coin de l’oeil, à nous d’imaginer la suite. Une fois de plus, l’auteur s’efface pour nous laisser interpréter ses images à notre guise. Jamais de leçons, ni de morale dans les livres de l’artiste italienne, contrairement à de nombreux livres pour enfants, juste une invitation à observer et à rêver le monde qui nous entoure.

Iela Mari a publié 8 livres pour enfants, certains imaginés à quatre mains avec son mari, elle n’a jamais vraiment quitté l’univers des livres, puisqu’elle a continué à enseigner le graphisme à l’Ecole de design de Milan. Elle nous a quitté il y a quelques mois, laissant un grand vide de le monde du livre jeunesse. Ses livres n’ont pas pris une ride et sont toujours largement plébiscités dans les écoles où ils continuent de faire rêver de nouvelles générations de bambins.