vendredi 1 mars 2013

William Steig, un auteur aux mutliples talents!!

William Steig est l’auteur d’une quarantaine de livres pour enfants. Certains de ses livres ont connu un énorme succès aux Etats-Unis, où il a été honoré de nombreuses récompenses. Il est considéré là-bas comme un grand artiste,sa notoriété dépassant le seul monde du livre jeunesse. Il est malheureusement trop peu connu de ce côté de l’atlantique, la plupart de ses albums n’étant même plus édités... Coup de projecteur sur cet auteur à la carrière bien remplie.
William Steig est né en 1907 à Brooklyn, dans une famille d’immigrants juifs d’Europe de l’Est. Après des études artistiques, il devient illustrateur pour le New Yorker, il a alors 23 ans. Chaque dessin lui rapporte 40 dollars, un revenu bienvenu pour le reste de sa famille, qui comme tous les américains subissent la grande dépression. Il est le seul soutien financier de la famille alors qu’il vient de quitter la maison. Il dit à propos de cette période "J’avais quitté le nid avec ma famille sur le dos". Rapidement il arrive à imposer son style. Contrairement aux autres illustrateurs du magazine qui ont plutôt tendance à décrire l’upper class des alentours de Central Park, Steig aime dessiner les enfants du Bronx où il a grandi. Ses dessins lui permettent de renouer avec sa propre enfance, et avec un mode de vie, qui peu à peu disparaît. Il apporte un vent de fraîcheur au New Yorker où il ne cessera jamais de travailler, 70 ans de dessins parmi lesquels 120 couvertures ! Pendant la deuxième guerre mondiale, il publie un recueil de dessins "Dreams of glory", qui montre un jeune garçon en héros,qu’il sauve le monde, qu’il s’oppose aux bandits, où même qu’il arrête Hitler avec une panoplie de cow boy. En cette période sombre de l’histoire, Steig montre le monde sauvé par les enfants, car les adultes en ont perdu le contrôle. Entre 1942 et 1950, Steig publie plusieurs recueils de dessins d’un genre très différent, parmi eux "The lonely ones". Ses dessins rebaptisés plus tard, dessins symboliques se veulent une exploration de l’âme humaine. La plupart de ses dessins représentent des gens seuls, enfermés dans leurs obsessions ou dans les caractéristiques que la société ont bien voulu leur donner. Graphiquement influencés par Picasso ou Dubuffet, on peut aussi y voir des références aux arts premiers, avec des visages qui ressemblent à des masques indigènes. Cette période montre un Steig plus sombre, en questionnement sur le genre humain… Sa rencontre avec le psychiatre Wilhem Reich, disciple de Freud, en 1946 n’est pas étrangère à tous ses questionnements. Reich prétendait que l’énergie vitale et primitive à tout être vivant était contrecarrée par la société de consommation, énergie qu’il baptisa orgone. Une façon de se reconnecter avec l’orgone était de s’enfermer dans une boîte, mélange de plusieurs matériaux naturels. Steig possédait ce genre de boîte et il explique qu’il s’y enfermait régulièrement avec un livre ("sinon c’est trop ennuyeux). Farouche partisan du psychiatre autrichien, Steig ira jusqu’à illustrer un de ses essais "Ecoute petit homme". Reich finira mal puisqu’il mourra en prison après avoir été accusé de fraude et de non-assistance à personne en danger, puisqu’il prétendait guérir de graves maladies grâce à la boîte d’orgone.
Ce n’est qu’en 1968, alors qu’il a déjà 60 ans que Steig publie son premier livre pour enfants, "CDB", un livre qui n’est encore qu’une succession de dessins libres accompagnés d’énigmes ( pas faciles à résoudre). Il rechignait à faire des livres pour enfants car il détestait répéter plusieurs fois la même figure, le même dessin ce qui est évidemment nécessaire à la narration d’un album illustré. Steig était un adepte du dessin libre, il ne faisait jamais de croquis préparatoires, jamais de crayonnés. Il utilisait directement l’encre et se laissait guider par sa main. Ses proches racontent qu’il dessinait sans cesse, c’était quelque chose de tout à fait compulsif chez lui. Il commençait toujours par dessiner le visage de ses personnages, se concentrait sur les expressions et puis le reste prenait forme, sans effort, apparemment. Cette facilité de dessin lui a permis de faire sans cesse évoluer son style. Dans les albums jeunesse, son trait semble plus relâché, mais toujours aussi élégant. C’est aussi à ce moment-là que la couleur apparaît dans son travail. Il utilise le plus souvent l’aquarelle, dont il devient un maître incontesté (Quentin Blake, illustrateur anglais et grand aquarelliste est sans aucun doute un héritier de Steig).
Mais, même s’il détestait répéter plusieurs fois le même dessin l’envie de raconter des histoires fut plus forte, et une nouvelle carrière débuta pour lui.
Son livre jeunesse le plus célèbre est sans doute "Shrek" qui a inspiré le film du même nom. Shrek qui veut d’ailleurs dire peur en yiddish. Steig disait à propos de ce livre "L’amour n’est pas réservé aux jeunes gens beaux".
Un de mes livres préférés de Steig ( c’est difficile de choisir !), c’est "Sylvestre et le caillou magique", à la fois parce que l’histoire me touche personnellement, et aussi parce qu’elle synthétise plusieurs autres histoires de Steig qui sont des variations sur le même thème. Sylvestre est un petit âne qui comme plein d’enfants a une collection, la sienne se compose de cailloux ramassés au fil de ses promenades…Un jour il en trouve un beau rouge, tout rond et se rend compte un peu par hasard que ce caillou exauce ses voeux ! Sur le chemin du retour, il fait une mauvaise rencontre, un lion affamé veut le croquer, il demande alors au caillou magique d le transformer en rocher… pas une si bonne idée finalement, il échappe au lion, mais se retrouve coincé en rocher… le caillou à ses pieds, mais il lui est impossible de bouger, il est un rocher, le temps passe, ses parents le cherchent partout, et finissent par se résigner. Alors que le printemps revient, les parents de Sylvestre vont faire un pique nique à la campagne, et ils trouvent le rocher parfait pour s’installer. Le père découvre dans l’herbe un petit caillou rouge et s’exclame " si seulement Sylvestre avait été là", et il le pose sur le rocher, Sylvestre peut alors se transformer et la famille se retrouve. Ce thème de la transformation est présent dans plusieurs histoires, Il y a Salomon le lapin qui peut se transformer en clou rouillé,quand il se gratte le nez et agite les doigts de pied en même temps, il y a aussi Gorki la grenouille qui découvre qu’elle peut voler…Tous ses personnages qui avant d’être des animaux, sont des enfants font l’expérience de la solitude, de la séparation d’avec leurs parents, de la peur, Sylvestre pense qu’il va mourir coincé en rocher… Mais ces aventures même si elles sont difficiles révèlent d’une certaine façon les enfants à eux-même, (avec l’aide de leurs parents, comme dans l’histoire de Sylvestre. )Steig croyait en la bienveillance et la compréhension des parents, aucune de ses histoires n’a de morale punitive, les enfants et leurs parents partagent toujours une vraie complicité.
La plupart de ses personnages sont des animaux, personnifiés et affublés d’expressions et d’attributs humains. Ils sont habillés, habitent dans des maisons,certains exercent des professions sont musiciens… On rencontre notamment un couple de souris dentistes, les Des Soto, qui hésitent à soigner un renard qui a une rage de dents, et on les comprends…Steig utilisait les animaux d’une part pour paraphraser les comportements humains et donc appuyer le côté symbolique de l’histoire et d’autre part parce qu’il pensait que de cette façon il pourrait mieux communiquer avec de jeunes lecteurs. En plus de l’humour, la fantaisie et la magie de ses histoires, Steig avait l’ambition de dire quelque chose d’important aux enfants. Ses albums jeunesse lui ont donné l’occasion de parler de certains sujets, comme la solitude, l’injustice, l’amitié, la mort et la peur…
Quelques mois avant sa mort, en octobre 2003, Steig a publié un dernier livre, où il revient une dernière fois sur sa propre enfance, ses jeux dans le bronx, son père et sa mère qui se disputaient en polonais ou en yiddish.. Il avait 94 ans et ses souvenirs d’enfance semblaient toujours aussi vivaces… Son trait est encore plus rapide qu’autrefois, on a l’impression qu’il dessine comme l’enfant qu’il était alors, "Quand tout le monde portait un chapeau".
Un auteur à découvrir absolument !!
Disponibles en français :
"Sylvestre et le caillou magique" Albin Michel "Salomon et le clou rouillé", Kaléïdoscope "L’os prodigieux", Kaléïdoscope "Shrek", Albin Michel "La surprenante histoire du Docteur de Soto", Gallimard "L’ïle d’Abel", Ecole des Loisirs "Dominic", Ecole des Loisirs "A propos des gens", recueil de dessins, Cahiers dessinés
Ouvrage de reference : The Art of William Steig, Collectif, Nahson, catalogue de l’exposition "From the New Yorker to Shrek : The art of William Steig" organisée par le musée Juif de New York en 2007.
Ses autres livres en anglais sont pour la plupart disponibles et on les trouve dans toutes les bonnes libraires anglophones. Si vous aimez chiner et que vous passez bientôt par les Etats-Unis, vous dégoterez sans trop de mal des premières éditions de ses recueils de dessins, comme "The lonely Ones", "About people" ou "Dreams of glory". Et si vous êtes fainéants, Amazon y pourvoira sûrement…

2 commentaires:

Unknown a dit…

Très chouette article!
Je n'avais pas noté qu'il ne faisait pas de crayonnés ni de dessins préparatoires, je crois que c'est une des clefs d'un dessin réussit. Un dessin qui continue mystérieusement de vivre, qui n'est pas fixé, figé. Mais ça n'est pas aisé à atteindre... Chez moi c'est presque un miracle.
J'ai découvert une nouvelle vidéo à propos de Quentin Blake:
http://www.bbc.co.uk/news/entertainment-arts-20684202
France culture lui a consacré deux émissions encore disponibles en podcast:
http://www.franceculture.fr/emission-l-atelier-de-la-creation-quentin-blake-s-envole-au-dela-de-la-page-2012-10-25
Vous connaissez Thé Tjong Khing, un homme merveilleux, tout comme Blake et Steig, et un tout aussi génial dessinateur. Ces deux vidéos sont particulièrement instructives, il me semble:
http://vimeo.com/11002159
http://vimeo.com/11002173

Encore un vieillard, je dois être gérontophile...

Au plaisir,
marc-aurèle versini

thalie a dit…

merci marc-aurèle pour votre commentaire enthousiaste! j'ai remarqué que plein de grands illustrateurs vivent très âgés..à méditer!
à bientôt!