Bill Peet est né en 1915 à Grandview, un petit village perdu en Indiana.
Il raconte que son premier souvenir n’est pas celui de sa famille mais
bel et bien l’image des deux cochons que sa grand-mère élevait dans leur
ferme de Grandview. Son père est mobilisé peu de temps après sa
naissance, sa mère, enseignante trouve un travail en ville, et tout ce
petit monde déménage à Indianapolis. Son père ne fut jamais envoyé au
front, lorsque la guerre s’achève en 1918, il est toujours dans un camp
d’entraînement du Kentucky. Mais après avoir quitté l’armée, il
s’évapore, il ne donnera d’ailleurs pas de nouvelles à sa famille avant
des années. Enfant, Bill Peet est déjà un passionné de dessin. Il n’est
pas très assidu à l’école, il préfère de loin s’adonner à sa passion, et
il dessine pendant les cours, sur tout ce qui lui tombe sous la main.
Il aime particulièrement illustrer les marges de ses manuels scolaires,
qui deviennent des bestsellers à chaque rentrée, ses camarades
s’arrachant ses raretés parmi tous les autres manuels d’occasion.
L’hiver il se retire pour dessiner, alors que l’été est le moment de
toutes les escapades dans la nature. Il s’intéresse beaucoup aux
animaux, et se met à rêver à l’Afrique et à tous les animaux sauvages
qu’il pourrait observer. Il pense tenir une chance le jour où il voit
une petite annonce dans le journal « Cherche un taxidermiste pour safari
en Afrique » et un peu plus bas « Devenez taxidermiste- revenus
garantis ». Il décide de s’inscrire à cette fameuse formation, mais
déchante lorsqu’il reçoit la note de 200 dollars pour les leçons.
En 1928, son père réapparait, fauché et désespéré, il n’a pas
vraiment l’intention de rester, et essaie simplement d’extorquer de
l’argent à sa femme pour une de ses nouvelles combines. Elle finit par
céder pour s’en débarrasser. C’est à cette période difficile que Bill
Peet doit commencer l’école secondaire. Les temps sont durs chez lui et
il ne se permet plus de penser à une carrière artistique. Il essaie
d’assurer ses arrières et ceux de sa famille en choisissant des options
sérieuses, mais après une première année désastreuse où il rate dans
tous les cours, il rejoint la filière artistique dans laquelle il peut
enfin faire parler son talent. Ses bonnes notes lui permettent de
continuer sa formation dans une école d’art d’Indianapolis. Lors de son
premier cours, il se surprend à observer une jeune femme au premier
rang. Plutôt maladroit avec les filles, il met des semaines à
l’approcher, mais après ils ne se quitteront plus et il l’épousera
quelques années plus tard.
Il peint énormément à cette époque-là, il rêve de devenir un grand
artiste. En quête de reconnaissance, il soumet plusieurs de ses tableaux
à une foire régionale, il reçoit le premier prix pour son portrait de
son oncle Eli. Il peint surtout des scènes de vie à la campagne. Grand
fan de cirque, il fera de nombreuses peintures d’après nature, mais il
préfère dessiner les coulisses, plutôt que ce qui ses passe sous les
feux de la rampe. Il a un certain goût pour le sordide, le monstrueux,
difficile a croire pour quelqu’un qui va travailler dans le monde
enchanté de Disney.
Impatient d’épouser sa Margaret, il arrête l’Ecole d’Art, et
s’installe comme peintre. Il trouve des petits boulots par ci par là
dans la publicité, mais très vite, il se rend compte que ce n’est pas
assez pour faire vivre une famille. Un peu par hasard il tombe sur une
brochure des Studios Disney. Il n’a jamais été attiré par l’animation,
mais il a besoin d’argent, il envoie donc son dossier, sans trop y
croire. Entretemps, il est engagé dans une compagnie qui produit des
cartes de voeux. Le boulot est des plus ennuyeux, il passe ses journées à
colorier les dessins d’autres designers. Après plusieurs mois à mettre
en couleurs des fleurs, des oursons et d’autres mièvreries, il craque et
démissionne. Le timing est parfait puisqu’il est invité à faire des
essais par les Studios Disney. La route est longue depuis Indianapolis,
et il ne sait pas comment rejoindre Los Angeles alors qu’il n’a pas un
sou. C’est un ami de Margaret en visite dans la région qui propose de
l’emmener, à condition qu’il conduise sa part. Bill Peet, accepte, un
peu inquiet, car il n’a jamais vraiment conduit de voiture. Il arrive
finalement à bon port, et commence la formation chez Disney. Après un
mois à dessiner Mickey, Goofy et cie, il ne reste plus que 3 personnes
sur les 15 sélectionnées au départ. Bill Peet en fait partie. Il est
engagé comme « In-betweener » sur les dessins animés de Donald Duck, il
travaille à l’annexe. Sa tâche consiste à faire les centaines de dessins
intermédiaires pour les animateurs chevronnés. Il espère que son
travail va vite évoluer, puisqu’a cette époque, Disney travaille sur son
premier long métrage « Blanche Neige et les sept nains ». Hollywwod
prédit un flop, les gens ne resteront jamais assis plus d’une heure à
regarder un dessin animé. Mais le succès sera au rendez-vous. Bill Peet
fait venir Margaret de l’Indiana et l’épouse quelques jours après la
première de Blanche Neige, sur qu’il aura du boulot pour longtemps.
Mais dessiner des canards à la chaîne l’épuise, il a l’impression de
faire le travail d’un robot. Il soumet alors des croquis à l’équipe qui
travaille sur Pinocchio. C’est comme ça qu’il finira par traverser la
rue pour aller travailler dans le bâtiment principal des Studios. Il
dessine des storyboard sous la houlette d’un scénariste. Bill Peet
travaillera deux ans sur ce film, il fera un nombre incroyable de
storyboards, mais aussi le design de certains personnages. Il sera
terriblement déçu le jour de la première projection, son nom
n’apparaissant pas au générique.
Pas découragé pour autant, il se met au travail sur « Dumbo ». Il
développe une partie de l’histoire et s’inspire de son fils qui a moins
d’un an pour dessiner les attitudes du bébé éléphant. Peter Pan est sur
les rails, mais Disney doit arrêter le projet pour participer à l’effort
de guerre. Les studios produiront de nombreux films de propagande. Bill
Peet y compris.
Après la guerre, Disney est en grande difficulté financière.
Doivent-ils continuer à faire des longs-métrages, alors que ça engloutit
tant d’argent ? Walt lance le projet Cendrillon sûr de son succès
commercial. Bill Peet crée les personnages des souris, qui amènent
humour et épaisseur à l’histoire.
Mais Bill Peet ne se satisfait plus de son travail chez Disney et il
espère mener une deuxième carrière de front. Il reprend la
peinture.Comme tant d’autres illustrateurs, il a toujours en lui
l’ambition de devenir un grand peintre. Mais force est de constater
qu’il a perdu la main. Alors que tout le monde fait de l’abstrait, Bill
Peet continue à peindre ses paysages champêtres. Il abandonne la
peinture pour de bon. Il s’essaie ensuite au dessin de presse, là aussi
sans succès.
Il se rend compte que ce qu’il souhaite vraiment faire c’est mettre en
images ses propres histoires. Alors papa de deux petits garçons, Bill
Peet leur invente des histoires chaque soir. Mais il a un problème avec
l’écriture. En travaillant chez Disney, il a pris l’habitude de raconter
avec des images, sans jamais mettre de mots sur ses dessins. Il a
plusieurs histoires en tête, mais il ne parvient pas à en écrire les
textes.
Las de ses tentatives d’écriture, il se remet à travailler dur pour
Disney. Il travaille sur Alice au pays des merveilles, sur Peter Pan,
puis sur la Belle au Bois dormant. Sur ce dernier film, Bill Peet se
fâche avec Walt Disney car il refuse de changer une scène. Il est alors
envoyé au sous-sol pour travailler sur des spots-télé et les visuels de
la revue de Mickey. C’est sa punition pour avoir tenu tête à Walt. Après
2 mois de placard, il décide de remonter dans son bureau. Désoeuvré, il
propose à Walt Disney d’ adapter une de ses propres histoires en court
film d’animation. Ce sera « Goliath 2 », qui devient aussi un petit
livre dans la collection des Golden Books. S’il est capable d’écrire une
histoire pour Disney, alors il peut en écrire une pour lui.
En 1959, il publie son premier album jeunesse « Hubert’s raising
Adventure », l’histoire d’un lion vaniteux qui perd sa magnifique
crinière. Sa seconde carrière est enfin lancée.
Alors qu’il travaille toujours sur des courts métrages, Walt Disney
lui envoie le roman de Dodie Smith « les 101 dalmatiens ». Bill Peet se
voit confier de grandes responsabilités sur ce film : il doit écrire le
scénario, faire le storyboard et enregistrer les voix. Cette fois-ci son
nom apparaît en grand au générique.
Fort de son succès avec les dalmatiens, Bill Peet propose
l’adaptation d’un roman « The sword in the stone ». Cela donnera le
délicieux « Merlin l’enchanteur ». Bill Peet raconte qu’il a dessiné le
personnage de Merlin d’après Walt Disney. En plus de la moustache, il
lui a donné son sale caractère et son côté soupe au lait.
Alors qu’il travaille encore sur Merlin, il suggère à Walt d’acquérir
les droits du « livre de la jungle » de Rudyard Kipling. A cette époque
il a déjà sorti 5 albums pour enfants, mais ne néglige pas pour autant
son travail au Studio.
Il commence à développer le design des personnages pour l’adaptation du
livre de Kipling. Il se met aussi à choisir les voix. Nouveau point de
discorde avec Walt Disney qui ne supporte pas l’accent New yorkais de
l’un des comédiens. Bill Peet promet du bout des lèvres qu’il va trouver
quelqu’un d’autre. Walt lui répond « Peux-tu animer le film » ?,
sous-entendant que son travail préparatoire est bien moins important que
celui des animateurs. Bill Peet, qui n’a pas sa langue en poche répond
« Oui ». Il ne remettra jamais les pieds chez Disney. Plus tard, il
n’hésitera pas à critiquer l’ambiance chez Disney, décrivant les sautes
d’humeur de Walt et les bagarres d’égo, le sien en faisait
certainement partie.
Il continue à publier des livres pour enfants. Il en publiera 36 en tout.
Son style est reconnaissable entre tous et n’aura presque pas bougé en 30 ans.
Son dessin hyper expressif, doit beaucoup à ses années Disney, mais n’en conserve pas moins une vraie originalité.
Il est resté fidèle à la même technique pendant toute sa carrière
d’illustrateur.
Sa mise en couleurs se fait toujours aux crayons de couleur.Il n’utilise
que très peu de couleurs, souvent des couleurs primaires, qu’il croise
habilement pour obtenir d’autres teintes. On pourrait qualifier ses
illustrations d’un peu naïves. Moi je dirais qu’elles ont l’esprit de
l’enfance. Il y a une douceur et une harmonie qui se dégage de ses
belles doubles pages. Il a évidemment un excellent sens du rythme, après
avoir storyboardé une grande partie de sa vie. On retrouve dans ses
albums son sens aigu de l’observation, sa passion pour les animaux ( ce
sont eux les héros de ses histoires, jamais les hommes) et son goût de
la campagne. 50 ans plus tard, il semble qu’il dessine toujours les
collines de son enfance.
En 1989, il publie son autobiographie, mais plutôt que d’écrire un
livre pompeux, il le fait sous forme de livre illustré à destination des
enfants.
Bill Peet est mort en 2002 à l’âge de 87 ans. Ses albums publiés
entre 1959 et 1989 sont encore tous disponibles chez le même éditeur
Houghton et Mifflin. Une telle longévité est suffisamment rare pour
qu’on le signale. Il a d’ailleurs été parmi les meilleurs vendeurs de
livre jeunesse aux Etats-Unis, aux côtés de Maurice Sendak et Dr Seuss.
Deux de ses livres viennent d’être traduits en français par les éditions
Milan « Léon le poltron » et « Le grand voyage ». On est ravis que
l’édition francophone s’intéresse enfin à lui, malheureusement
l’impression est fade, et ne rend pas du tout la vivacité des couleurs.
Ces éditions ne rendent vraiment pas justice au talent de Bill Peet…
Mon conseil, lisez-les en anglais !!
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