samedi 27 septembre 2014

Bill Peet, un auteur méconnu

Bill Peet est né en 1915 à Grandview, un petit village perdu en Indiana. Il raconte que son premier souvenir n’est pas celui de sa famille mais bel et bien l’image des deux cochons que sa grand-mère élevait dans leur ferme de Grandview. Son père est mobilisé peu de temps après sa naissance, sa mère, enseignante trouve un travail en ville, et tout ce petit monde déménage à Indianapolis. Son père ne fut jamais envoyé au front, lorsque la guerre s’achève en 1918, il est toujours dans un camp d’entraînement du Kentucky. Mais après avoir quitté l’armée, il s’évapore, il ne donnera d’ailleurs pas de nouvelles à sa famille avant des années. Enfant, Bill Peet est déjà un passionné de dessin. Il n’est pas très assidu à l’école, il préfère de loin s’adonner à sa passion, et il dessine pendant les cours, sur tout ce qui lui tombe sous la main. Il aime particulièrement illustrer les marges de ses manuels scolaires, qui deviennent des bestsellers à chaque rentrée, ses camarades s’arrachant ses raretés parmi tous les autres manuels d’occasion.


L’hiver il se retire pour dessiner, alors que l’été est le moment de toutes les escapades dans la nature. Il s’intéresse beaucoup aux animaux, et se met à rêver à l’Afrique et à tous les animaux sauvages qu’il pourrait observer. Il pense tenir une chance le jour où il voit une petite annonce dans le journal « Cherche un taxidermiste pour safari en Afrique » et un peu plus bas « Devenez taxidermiste- revenus garantis ». Il décide de s’inscrire à cette fameuse formation, mais déchante lorsqu’il reçoit la note de 200 dollars pour les leçons.
En 1928, son père réapparait, fauché et désespéré, il n’a pas vraiment l’intention de rester, et essaie simplement d’extorquer de l’argent à sa femme pour une de ses nouvelles combines. Elle finit par céder pour s’en débarrasser. C’est à cette période difficile que Bill Peet doit commencer l’école secondaire. Les temps sont durs chez lui et il ne se permet plus de penser à une carrière artistique. Il essaie d’assurer ses arrières et ceux de sa famille en choisissant des options sérieuses, mais après une première année désastreuse où il rate dans tous les cours, il rejoint la filière artistique dans laquelle il peut enfin faire parler son talent. Ses bonnes notes lui permettent de continuer sa formation dans une école d’art d’Indianapolis. Lors de son premier cours, il se surprend à observer une jeune femme au premier rang. Plutôt maladroit avec les filles, il met des semaines à l’approcher, mais après ils ne se quitteront plus et il l’épousera quelques années plus tard.


Il peint énormément à cette époque-là, il rêve de devenir un grand artiste. En quête de reconnaissance, il soumet plusieurs de ses tableaux à une foire régionale, il reçoit le premier prix pour son portrait de son oncle Eli. Il peint surtout des scènes de vie à la campagne. Grand fan de cirque, il fera de nombreuses peintures d’après nature, mais il préfère dessiner les coulisses, plutôt que ce qui ses passe sous les feux de la rampe. Il a un certain goût pour le sordide, le monstrueux, difficile a croire pour quelqu’un qui va travailler dans le monde enchanté de Disney.
Impatient d’épouser sa Margaret, il arrête l’Ecole d’Art, et s’installe comme peintre. Il trouve des petits boulots par ci par là dans la publicité, mais très vite, il se rend compte que ce n’est pas assez pour faire vivre une famille. Un peu par hasard il tombe sur une brochure des Studios Disney. Il n’a jamais été attiré par l’animation, mais il a besoin d’argent, il envoie donc son dossier, sans trop y croire. Entretemps, il est engagé dans une compagnie qui produit des cartes de voeux. Le boulot est des plus ennuyeux, il passe ses journées à colorier les dessins d’autres designers. Après plusieurs mois à mettre en couleurs des fleurs, des oursons et d’autres mièvreries, il craque et démissionne. Le timing est parfait puisqu’il est invité à faire des essais par les Studios Disney. La route est longue depuis Indianapolis, et il ne sait pas comment rejoindre Los Angeles alors qu’il n’a pas un sou. C’est un ami de Margaret en visite dans la région qui propose de l’emmener, à condition qu’il conduise sa part. Bill Peet, accepte, un peu inquiet, car il n’a jamais vraiment conduit de voiture. Il arrive finalement à bon port, et commence la formation chez Disney. Après un mois à dessiner Mickey, Goofy et cie, il ne reste plus que 3 personnes sur les 15 sélectionnées au départ. Bill Peet en fait partie. Il est engagé comme « In-betweener » sur les dessins animés de Donald Duck, il travaille à l’annexe. Sa tâche consiste à faire les centaines de dessins intermédiaires pour les animateurs chevronnés. Il espère que son travail va vite évoluer, puisqu’a cette époque, Disney travaille sur son premier long métrage « Blanche Neige et les sept nains ». Hollywwod prédit un flop, les gens ne resteront jamais assis plus d’une heure à regarder un dessin animé. Mais le succès sera au rendez-vous. Bill Peet fait venir Margaret de l’Indiana et l’épouse quelques jours après la première de Blanche Neige, sur qu’il aura du boulot pour longtemps.

 Mais dessiner des canards à la chaîne l’épuise, il a l’impression de faire le travail d’un robot. Il soumet alors des croquis à l’équipe qui travaille sur Pinocchio. C’est comme ça qu’il finira par traverser la rue pour aller travailler dans le bâtiment principal des Studios. Il dessine des storyboard sous la houlette d’un scénariste. Bill Peet travaillera deux ans sur ce film, il fera un nombre incroyable de storyboards, mais aussi le design de certains personnages. Il sera terriblement déçu le jour de la première projection, son nom n’apparaissant pas au générique.

 Pas découragé pour autant, il se met au travail sur « Dumbo ». Il développe une partie de l’histoire et s’inspire de son fils qui a moins d’un an pour dessiner les attitudes du bébé éléphant. Peter Pan est sur les rails, mais Disney doit arrêter le projet pour participer à l’effort de guerre. Les studios produiront de nombreux films de propagande. Bill Peet y compris.


Après la guerre, Disney est en grande difficulté financière. Doivent-ils continuer à faire des longs-métrages, alors que ça engloutit tant d’argent ? Walt lance le projet Cendrillon sûr de son succès commercial. Bill Peet crée les personnages des souris, qui amènent humour et épaisseur à l’histoire.
Mais Bill Peet ne se satisfait plus de son travail chez Disney et il espère mener une deuxième carrière de front. Il reprend la peinture.Comme tant d’autres illustrateurs, il a toujours en lui l’ambition de devenir un grand peintre. Mais force est de constater qu’il a perdu la main. Alors que tout le monde fait de l’abstrait, Bill Peet continue à peindre ses paysages champêtres. Il abandonne la peinture pour de bon. Il s’essaie ensuite au dessin de presse, là aussi sans succès.
 Il se rend compte que ce qu’il souhaite vraiment faire c’est mettre en images ses propres histoires. Alors papa de deux petits garçons, Bill Peet leur invente des histoires chaque soir. Mais il a un problème avec l’écriture. En travaillant chez Disney, il a pris l’habitude de raconter avec des images, sans jamais mettre de mots sur ses dessins. Il a plusieurs histoires en tête, mais il ne parvient pas à en écrire les textes.

Las de ses tentatives d’écriture, il se remet à travailler dur pour Disney. Il travaille sur Alice au pays des merveilles, sur Peter Pan, puis sur la Belle au Bois dormant. Sur ce dernier film, Bill Peet se fâche avec Walt Disney car il refuse de changer une scène. Il est alors envoyé au sous-sol pour travailler sur des spots-télé et les visuels de la revue de Mickey. C’est sa punition pour avoir tenu tête à Walt. Après 2 mois de placard, il décide de remonter dans son bureau. Désoeuvré, il propose à Walt Disney d’ adapter une de ses propres histoires en court film d’animation. Ce sera « Goliath 2 », qui devient aussi un petit livre dans la collection des Golden Books. S’il est capable d’écrire une histoire pour Disney, alors il peut en écrire une pour lui.
En 1959, il publie son premier album jeunesse « Hubert’s raising Adventure », l’histoire d’un lion vaniteux qui perd sa magnifique crinière. Sa seconde carrière est enfin lancée.

Alors qu’il travaille toujours sur des courts métrages, Walt Disney lui envoie le roman de Dodie Smith « les 101 dalmatiens ». Bill Peet se voit confier de grandes responsabilités sur ce film : il doit écrire le scénario, faire le storyboard et enregistrer les voix. Cette fois-ci son nom apparaît en grand au générique.
Fort de son succès avec les dalmatiens, Bill Peet propose l’adaptation d’un roman « The sword in the stone ». Cela donnera le délicieux « Merlin l’enchanteur ». Bill Peet raconte qu’il a dessiné le personnage de Merlin d’après Walt Disney. En plus de la moustache, il lui a donné son sale caractère et son côté soupe au lait.

Alors qu’il travaille encore sur Merlin, il suggère à Walt d’acquérir les droits du « livre de la jungle » de Rudyard Kipling. A cette époque il a déjà sorti 5 albums pour enfants, mais ne néglige pas pour autant son travail au Studio. Il commence à développer le design des personnages pour l’adaptation du livre de Kipling. Il se met aussi à choisir les voix. Nouveau point de discorde avec Walt Disney qui ne supporte pas l’accent New yorkais de l’un des comédiens. Bill Peet promet du bout des lèvres qu’il va trouver quelqu’un d’autre. Walt lui répond « Peux-tu animer le film » ?, sous-entendant que son travail préparatoire est bien moins important que celui des animateurs. Bill Peet, qui n’a pas sa langue en poche répond « Oui ». Il ne remettra jamais les pieds chez Disney. Plus tard, il n’hésitera pas à critiquer l’ambiance chez Disney, décrivant les sautes d’humeur de Walt et les bagarres d’égo, le sien en faisait certainement partie.
Il continue à publier des livres pour enfants. Il en publiera 36 en tout. Son style est reconnaissable entre tous et n’aura presque pas bougé en 30 ans. Son dessin hyper expressif, doit beaucoup à ses années Disney, mais n’en conserve pas moins une vraie originalité.


 Il est resté fidèle à la même technique pendant toute sa carrière d’illustrateur. Sa mise en couleurs se fait toujours aux crayons de couleur.Il n’utilise que très peu de couleurs, souvent des couleurs primaires, qu’il croise habilement pour obtenir d’autres teintes. On pourrait qualifier ses illustrations d’un peu naïves. Moi je dirais qu’elles ont l’esprit de l’enfance. Il y a une douceur et une harmonie qui se dégage de ses belles doubles pages. Il a évidemment un excellent sens du rythme, après avoir storyboardé une grande partie de sa vie. On retrouve dans ses albums son sens aigu de l’observation, sa passion pour les animaux ( ce sont eux les héros de ses histoires, jamais les hommes) et son goût de la campagne. 50 ans plus tard, il semble qu’il dessine toujours les collines de son enfance.


En 1989, il publie son autobiographie, mais plutôt que d’écrire un livre pompeux, il le fait sous forme de livre illustré à destination des enfants.
Bill Peet est mort en 2002 à l’âge de 87 ans. Ses albums publiés entre 1959 et 1989 sont encore tous disponibles chez le même éditeur Houghton et Mifflin. Une telle longévité est suffisamment rare pour qu’on le signale. Il a d’ailleurs été parmi les meilleurs vendeurs de livre jeunesse aux Etats-Unis, aux côtés de Maurice Sendak et Dr Seuss. Deux de ses livres viennent d’être traduits en français par les éditions Milan « Léon le poltron » et « Le grand voyage ». On est ravis que l’édition francophone s’intéresse enfin à lui, malheureusement l’impression est fade, et ne rend pas du tout la vivacité des couleurs. Ces éditions ne rendent vraiment pas justice au talent de Bill Peet… Mon conseil, lisez-les en anglais !!

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