Qui n’ a jamais aperçu ce petit lapin blanc à la bouille ronde,
incroyablement kawaï comme disent les japonais ? Le phénomène Miffy a
envahi le monde, le personnage s’est imposé comme une icône, symbole de
l’enfance, de l’innocence, de la mignonnerie,..
Alors que son créateur Dick Bruna vient d’annoncer qu’il prenait sa
retraite à l’âge de 87 ans, après 60 ans de carrière et presque autant
de lapins, j’avais envie de revenir sur la création de ce petit
personnage tellement emblématique, et sur le parcours de celui qui l’a
mis au monde.
Dick Bruna est né en 1927 à Utrecht dans une famille bourgeoise très
cultivée. Son père comme son grand-père et son arrière grand-père avant
lui est éditeur. L’affaire est dans la famille depuis longtemps et le
destin de Dick semble déjà tout tracé. Il vit une enfance heureuse
bercée par la chanson française que sa mère écoute à longueur de
journée. Encore enfant, il fréquente les écrivains invités dans la
maison familiale par son père éditeur. L’atmosphère est propice à la
création. Adolescent, il dessine et écrit beaucoup. Il veut être
artiste, ce que son père ne voit pas d’un très bon oeil. C’est
paradoxalement la guerre qui lui donnera la liberté de créer, son père
est obligé se cacher pour échapper au travail obligatoire, Dick reste
seul avec sa mère et son frère et peut se laisser aller à sa passion. Il
écrit un roman illustré « Japie » qui ne sera jamais publié, mais qui
laisse entrevoir sa future ambition. Mais son père est décidé à faire de
lui son successeur, il l’envoie en stage à Londres, puis à Paris auprès
de libraires, d’imprimeurs et d’éditeurs pour qu’il se forme aux
métiers du livre. Son séjour à Paris agit comme un déclencheur, il se
frotte enfin à cette culture qu’il admire tant. Il hante les musées et
les galeries, il croise de grands peintres. De retour aux Pays-Bas, son
père voit bien qu’il n’a pas en lui l’étoffe d’un chef d’entreprise, il
l’envoie suivre les leçons du peintre Jos Rovers, mais le style
impressionniste du professeur ne convient pas à Dick, lui veut
expérimenter la couleur à la manière d’un Léger, il veut s’inscrire dans
la modernité.
Tombé amoureux de la culture française, il passe tous ses étés dans
le sud de la France. Il y découvre la chapelle du Rosaire à Vence. Il y
vit une véritable épiphanie. Il est bouleversé par la travail de
Matisse, il est fasciné par sa recherche de la simplicité et par son
travail sur la couleur. Matisse restera l’influence majeure de son
oeuvre. A cette époque, il s’en inspire largement, il réalise des
collages muraux avec des éléments marins qui rappellent sans aucune
doute les fameuses algues de Matisse.
Il veut devenir peintre et décide de s’installer dans le Sud de la
France pour être au plus près de ses sources d’inspiration. Mais l’amour
en décidera autrement. C’est dans le quartier de ses parents qu’il
croise Irène pour la première fois, il en tombe éperdument amoureux. Il
renonce à ses projets de déménagement pour épouser sa dulcinée. Mais le
père d’Irène n’a pas l’intention de marier sa fille à un artiste. Dick
fait alors ce qu’il a toujours refusé de faire, il rentre dans le rang,
et accepte un poste de designer dans l’entreprise de son père.
Un choix qu’il ne regrettera pas puisqu’il va y découvrir ses talents
de graphiste. Il imposera une véritable identité visuelle aux éditions
Bruna en réalisant des centaines de couvertures, d’affiches, de logos.
Ce qui l’amènera finalement à éditer ses propres livres.
C’est Dick Bruna qui a créé les visuels et les logos pour les Zwarte
Beertjes, une collection de livres de poche qui envahira les Pays-Bas
dès 1954. Cette collection dans laquelle étaient publiés les polars de
Simenon, mais aussi les comics des Peanuts, deviendra l’emblème de la
lecture en Hollande. Les affiches créées par Dick Bruna pour la
collection étaient visibles dans toutes les gares, dans les écoles, les
lieux publics. La mascotte de la collection qui a perduré jusqu’à
aujourd’hui, est un petit ours noir aux yeux rouges toujours accompagné
d’un livre. Ses affiches étaient vraiment modernes pour l’époque, il
jouissait d’une totale liberté dans son travail et pouvait tout essayer.
Ainsi sur l’une de ses affiches, on voit l’ours noir en gros plan sur
un fonds noir, un livre bleu à la main. Du coup, ses yeux et son livre
seulement se découpent sur le fonds noir et donne une impression de
confort et de bien-être. Quand on lit, tout ce qui nous entoure
disparaît.
A cette époque il maquettera aussi de nombreuses couvertures pour la
collection, celles des romans de Simenon sur lesquelles on retrouve
systématiquement une pipe découpée en papier découpé, il joue avec
collages, photos, etc… Ses couvertures rappellent le travail de
l’américain Saul Bass (affichiste des films d’Hitchcock notamment). On
retrouve le même genre de compositions et la même efficacité graphique.
En 1953, Dick Bruna publie ses deux premiers livres pour enfants.
« De Appel » et « Toto in Volendam ». Réalisés en papiers
découpés,imprimés tout en couleur ses deux petits albums apparaissent
comme les coups d’essai de Dick Bruna. Ceci dit, on y trouve déjà ce qui
caractérisera le style de Dick, l’absence de perspective, les couleurs
primaires appliquées en aplat et la recherche de simplicité autant dans
les formes que dans le texte.
Le personnage de Miffy, Njintje en néerlandais, apparait pour la
première fois en 1955. Elle n’a alors pas du tout la même forme
qu’aujourd’hui, sa tête est plutôt ovale. Tout son corps semble plus
mou. Mais l’idée du lapin blanc est bien là.
Son père n’y croit pas vraiment et laisse son fils faire joujou. Les
premiers tirages sont de 2500 exemplaires et le succès n’est vraiment
pas au rendez-vous. L’éditeur n’a aucune expérience dans le livre
jeunesse et n’en fait pas la promotion.
Mais ses premiers albums se distinguent très clairement de la
production de l’époque. La plupart des livres pour enfants parus juste
après-guerre sont en noir et blanc, ou au mieux, on y introduit une
couleur toutes les deux pages. les seuls albums tout en couleurs sont
ceux qui viennent des Etats-Unis, la collection des Petits Livres d’or,
notamment, qui connaîtra un énorme succès en Europe.
En 1955, il devient directeur adjoint du groupe familial. Il décide
de créer une collection de petits formats carrés pour la publication des
livres pour enfants. Il pense que le format carré convient mieux aux
plus petits, ça lui paraît plus maniable. Les illustrations seront dès
lors imprimées sur la page de droite, le texte sur la page de gauche, ce
principe perdurera jusqu’à aujourd’hui.
En 1959, il publie 4 titres en format carré, il reprend son premier livre « De appel » qu’il redessine, au trait cette fois.
En 1963, Miffy réapparaît, dans sa forme presque définitive, sa tête
s’est considérablement arrondie, , elle s’est aussi agrandie, ce qui lui
donne un air nettement plus sympathique. D’ailleurs dans ce premier
album Miffy s’endort car sa tête est trop lourde à porter.
Avec peu, Dick Bruna parvient à donner vie à son lapin, on peut lire des
émotions en observant l’inclinaison des oreilles, la position des yeux,
la forme de la croix qui lui sert de bouche.
Même si graphiquement Miffy paraît révolutionnaire pour l’époque, ses
histoires s’inscrivent dans la tradition, et dans un certain
classicisme. Ce qui leur a souvent valu le qualificatif de niaises.
Miffy est une enfant sage, assez dépendante de ses parents. Ce n’est pas
non plus un modèle d’émancipation de la femme, puisqu’il faudra
attendre 2004 pour que Miffy lâche sa robe pour enfiler un pantalon.
Néanmoins elle a évolué, parallèlement à son évolution graphique (ses
oreilles se sont arrondies, ses yeux se sont rapprochés, sa tête s’est
encore agrandie) Miffy est devenue plus indépendante, Dick Bruna a osé
aborder d’autres thèmes, comme la mort ou l’absence.
En 1979, Miffy qui est blanche comme neige, croise un lapin brun,
couleur chocolat. Dick Bruna voulait que les enfants de couleur puissent
aussi s’identifier à leur héroïne. Il crée le personnage de Nina.
Plutôt réfractaire au changement, Dick Bruna agrandira tout de même
le cercle de ses personnages, en créant Snuffie, le chien, ou Betje Big,
le cochon. Il dessinera aussi des enfants, des objets, en élargissant
ses histoires à des imagiers ou des livres à compter. Mais il restera
toujours fidèle au système qu’il a mis en place. Un système précis, et
extrêmement codé.
On l’observe d’abord avec l’utilisation des couleurs, il a défini une
palette de couleurs, primaires pour la plupart qu’il appliquera selon
un code strict. Par exemple :
Pour représenter l’extérieur, il combine toujours le vert et le bleu
Alors que pour la maison c’est toujours le rouge et le jaune, qui donne
une impression de chaleur.
Le lapin blanc, apparaît toujours sur un fonds de couleur, sauf à
quelques exceptions près, où Miffy est dessinée sur du blanc, pour
souligner l’aspect dramatique de l’histoire (ex ; quand elle est à
l’hôpital). Il ne modifiera jamais sa palette.
Sa technique est restée la même pendant plus de 50 ans.
Il dessine d’abord des croquis au crayon sur des feuilles de calque.
Ensuite il dessine le trait au propre sur des feuilles de plastique
transparent. Il applique ensuite les couleurs en découpant dans de
grandes feuilles préalablement peintes à la gouache. Avec ses papiers
découpés, il remplit le vide.
Et le tour est joué. L’arrivée de l’informatique ne l’a pas fait faire
un pas de côté, il a continué à dessiner et à découper ses papiers à la
main.
Les livres n’ont pas bougé non plus en 60 ans, le format carré, la
maquette sont restés les mêmes que dans les années 50. La typo n’a
jamais changé. Ca tient au fait que Dick Bruna envisage le livre comme
un tout, texte/image/objet sont inextricablement liés. Ce qui explique
aussi qu’à ses images simples réponde un texte simple et le plus
souvent descriptif. On lui a souvent reproché le côté simplet et
répétitif de son écriture, mais c’est bien une volonté de sa part. Son
but étant de se faire comprendre par les plus petits. Il n’y a jamais de
second degré, jamais de références que seuls les adultes pourraient
comprendre. Et malgré les critiques, c’est sans doute ce qui a fait son
succès auprès des enfants. Dick Bruna essaie d'installer un univers qui rassure pour les petits, ses livres ont valeur de "doudou". D'ailleurs pour l'auteur lui-même Miffy est une réminiscence du lapin en peluche qu'il a cajolé enfant.
Il veut avant tout que l’enfant reconnaisse instantanément ce qu’il
dessine. En cela, ses dessins se rapprochent des pictogrammes. Il faut
qu’en un clin d’oeil on reconnaisse le lapin, le cochon ou la fleur..
Cette obsession lui vient aussi de son travail de graphiste et
d’affichiste, ce besoin d’immédiateté et d’efficacité.
Et c’est vrai qu’en cela il a réussi son défi, car d’un seul coup
d’oeil on peut reconnaître du Dick Bruna. A son niveau, il a vraiment
créé une oeuvre. Plus de 100 livres pour enfants sont parus dans la
collection carrée. Ses livres ont été traduits dans au moins 50 langues
et se sont vendus à plus de 90 millions d’exemplaires à travers le
monde. Adulée au Japon, Miffy est devenue un produit de merchandising.
On a des peluches, des tasses, des vêtements, des comédies musicales
autour du lapin.
Devenue icône, elle en a inspiré d’autres comme Musty ou Hello Kitty.
Miffy a maintenant pris sa retraite a plus de 60 ans...
lundi 22 décembre 2014
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