mercredi 19 mars 2014

Aharon Appelfeld, histoires de vie; "Adam et Thomas"


Et si Aharon Appelfeld racontait enfin son histoire, celle de cet enfant perdu au milieu d'une guerre, trouvant refuge dans la forêt, obligé de fuir les hommes pour survivre. Cette histoire, Aharon Appelfeld ne l'a jamais vraiment écrite, tant elle est difficile et tellement enfouie en lui. Il l'explique dans la préface de son magnifique roman "Histoire d'une vie" ,  

Je me souviens très peu des six années de guerre, comme si ces six années-là n'avaient pas été consécutives. Il est exact que parfois, des profondeurs du brouillard épais, émergent un corps sombre, une main noircie, une chaussure dont il ne reste que des lambeaux. Ces images, parfois aussi violentes qu'un coup de feu, disparaissent aussitôt, comme si elles refusaient d'être révélées, et c'est de nouveau le tunnel noir qu'on appelle la guerre. Ceci concerne le domaine du conscient, mais les paumes des mains, le dos et les genoux se souviennent plus que la mémoire. Si je savais y puiser, je serais submergé de visions. J'ai réussi quelques fois à écouter mon corps et j'ai écrit ainsi quelques chapitres, mais eux aussi ne sont que les fragments d'une réalité trouble enfouie en moi à jamais.

  Quel étrange mécanisme que celui de la mémoire.  Appelfeld est un rescapé, après le ghetto il a connu le camp, après le camp il a connu l'errance et la solitude caché dans les forêts d'Ukraine. C'est bien au cœur de cette forêt qu'il nous plonge avec "Adam et Thomas", deux enfants que tout oppose, l'un est un petit aventurier, qui connaît la forêt, ses dangers mais surtout ses trésors, l'autre est un intellectuel, maladroit et angoissé. C'est leur origine qui les relie, Adam et Thomas sont tous deux juifs, et leurs mères respectives les ont protégés en les cachant dans la forêt. Là ils sont devoir apprendre à survivre, ils vont utiliser tout ce que la forêt peut leur offrir. Ils vont se construire un nid, là-haut dans les arbres, ils vont boire l'eau du ruisseau et cueillir des fruits des bois. Mais leur esprit est parfois tourmenté, leurs mères viendront-elles vraiment les chercher? Les questions affluent dans la tête de Thomas, sans cesse en train de s'interroger sur l'existence de Dieu.
Contre toute attente l'histoire d'Adam et Thomas a une fin heureuse, en forme de retrouvailles avec leurs mères. Comme si Aharon Appelfeld avait voulu transcender sa propre destinée et retrouver la mère qui lui a été enlevée au début de la guerre.

Le texte de l'auteur israélien prend la forme d'une fable, d'un conte, qui permet à l'enfant caché devenu un vieil homme de revenir sur une période de sa vie profondément enfouie en lui. Peu importe que ce soit la vérité puisque de toutes façons elle est transcendée par l'écriture. Aharon Appelfeld est un génie des mots, son écriture est fluide et pénètre en nous comme une douce mélodie.
"Adam et Thomas "trouvera aussi bien des lecteurs enfants que des lectures adultes. Ce texte a même vocation au dialogue entre les générations, peut-être éveillera-t-il des questions chez les plus jeunes.

L'écriture d'Appelfeld est magnifiée par les superbes illustrations de Philippe Dumas. Ses images sont fines et délicatement floues, comme le sont certains de nos souvenirs...

"Adam et Thomas" vient de paraître à l'Ecole des Loisirs. Vous pouvez lire "L'histoire d'une vie" dans la collection Points.

A son réveil, le soleil était déjà au zénith. Dans son sommeil il avait été à la maison, dans la cuisine, et il se demanda un instant comment il était arrivé dans la forêt, mais il se souvint aussitôt que sa mère l'y avait conduit et avait dit : "Nous voilà arrivés. N'aie pas peur. Tu connais la forêt et tout ce qu'elle contient." Les phrases résonnèrent un instant dans sa tête, et il s'en réjouit.

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